Manger, échanger, s’activer : nourriture et santé

Manger, échanger, s’activer : nourriture et santé

2012

Dans les sphères de l’alimentation et de la santé, les groupes ont agi sur divers plans pour faire face au tableau de pauvreté et de carences dressé dans la première partie de ce document. Pour ce thème, comme pour les autres, en alphabétisation populaire, on propose des ateliers types, avec l’intégration des dimensions déjà mentionnées, à savoir : expression et pleine participation, information rendue accessible, réflexion, soutien à la prise de pouvoir, lecture et écriture, échanges culturels, etc.

Les groupes ont mis de l’avant d’autres types d’activités sur le sujet, dont voici quelques exemples : cafés communautaires, atelier d’exploration et de confection de repas santé, production de livres de recettes par les personnes participantes 1, mise sur pied de dépannage et de comptoirs alimentaires, soutien, orientation dans le but de rendre accessibles des ressources de la communauté, collations, déjeuners et autres repas offerts gratuitement, visites de musées, participation active à des événements publics comme la semaine de la nutrition, etc. De nombreux groupes ont orienté les personnes participantes vers des cuisines collectives et plusieurs, seuls ou en collaboration, ont décidé d’en mettre une sur pied pour tout ce que cela offre comme possibilités : accès à de la nourriture de qualité, apprentissages sur plusieurs plans, échanges et liens sociaux, reprise de pouvoir en cette matière. D’autres encore, quant à eux, ont axé leurs travaux sur la réalisation de documents de divers formats, toujours dans un langage simple et vivant, tels que la collection de livrets de Lettres en main intitulée Les Nouvelles connaissances usuelles, qui porte sur le cancer, la santé mentale, le cœur et les vaisseaux sanguins, les bronches et les poumons, le diabète, la sexualité, etc.

1 La création et la diffusion de livres de recettes ont été entreprises par beaucoup de groupes et avec une grande variété de formes et de processus.

L’ÉCOUTE

Avant de nous engager dans la description de quelques expériences pratiques en santé et en alimentation, attardons-nous sur une pièce maîtresse de l’alphabétisation populaire, soit une approche qui soutient que le premier pas de toute entreprise, ou presque, est d’être à l’écoute des préoccupations des personnes participantes. L’écoute attentive de leurs besoins, de leurs demandes et des souvenirs, habitudes de vie et valeurs auxquels elles font référence est devenue une pratique courante de ce mouvement. Cette attention est d’ailleurs inscrite dans La Déclaration de principes du Regroupement 2. Au fil du temps, de mille et une manières, les groupes ont mis en pratique cette volonté de partir des personnes participantes et ont acquis des habiletés en la matière. Actuellement, l’attention portée aux difficultés rencontrées par les personnes participantes est plus que jamais au cœur des pratiques. En outre, avec une acuité accrue, on a appris en cours de route à mieux saisir l’entièreté de leur être, y compris de leurs capacités, de leur force, de leurs élans, de leur langage et de leur potentiel. De ce regard qui embrasse la dignité et cherche l’équité naît une nouvelle composante, celle d’inclure les personnes participantes à chaque étape des démarches, de la conception à l’évaluation. Ce parti pris du AVEC les personnes participantes assure l’adéquation entre activités proposées, besoins, champs d’intérêt et culture de ces dernières.  
Voici un échantillon de ce que les groupes en alphabétisation populaire peuvent faire sur ce sujet particulier de la santé et de la nourriture, en incluant les personnes participantes dans tout le processus :
 

Au Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles, après avoir perçu le mauvais état de santé des personnes participantes, on a mis en place un programme à plusieurs volets et sur plusieurs années afin de favoriser des améliorations dans le domaine. C’est avec enthousiasme qu’un grand nombre de personnes a répondu à cette initiative. Les activités proposées dans ce cadre viennent d’ailleurs très majoritairement de leurs suggestions. Elles ont pris diverses formes dont les suivantes :
 

  • discussions sur divers sujets : accessibilité aux programmes de prévention et de dépistage, état de santé physique et mentale, etc.;
  • activités physiques adaptées à leur situation et à leur culture : marches thématiques et exploratoires, relaxation, danse en ligne, etc.
  • production de matériel didactique simplifié, dont une présentation PowerPoint sur les gras et les sucres;
  • ateliers de cuisine et cuisines collectives;
  • sensibilisation du personnel du milieu de la santé à l’aide d’une vidéo qu’ils ont produite;
  • mise en commun à la suite de diverses activités;
  • autres.

2 Notamment avec les principes suivants :

Un groupe populaire d’alphabétisation tient compte des besoins et attentes des personnes analphabètes.

L'alphabétisation populaire tient compte des réalités de la vie quotidienne des participantes et participants.

Ce programme a donné l’occasion aux personnes participantes d’accéder à une tribune leur permettant de s’exprimer et il leur a offert une occasion de participation, d’inclusion, d’apprentissage et de recherche de solutions pratiques dans un climat de reconnaissance et de respect. De leur côté, les travailleuses et les travailleurs ont aussi fait des apprentissages sur la manière d’entreprendre et de poursuivre ce type de démarche. Ce contexte a de plus été l’occasion d’affirmer et de préciser des constats sur l’état de santé des personnes participantes et sur les conséquences de leur pauvreté. Cette entreprise a enfin engendré des prises de conscience, notamment sur les difficultés importantes de communication avec les professionnels de la santé, ce qui a par la suite permis de sensibiliser quelques-uns de ceux-ci 3.

Dans la même lignée, pour l’élaboration d’un projet sur la santé, La Marée des mots de Beauport a mis à profit des moyens assez récemment découverts et apprivoisés : l’approche REFLECT 4, élaborée au Sénégal et « importée » au Québec grâce à une collaboration entre plusieurs partenaires, soit des groupes membres, l’organisation sénégalaise ALPHADEV, le CECI et le RGPAQ. L’arbre à problèmes, un des outils typiques de cette approche, a été utilisé en début de processus pour structurer ce projet sur la santé et en préciser la teneur. Aux dires des travailleuses et des travailleurs, il « a été, d’abord et avant tout, une démarche d’éducation populaire permettant de remettre des choses en question et de se servir des connaissances des uns et des autres pour construire collectivement des solutions qui leur ressemblent et ainsi les amener à introduire des petits changements au quotidien, selon le désir de chacun ». Le titre même du rapport qui a suivi évoque la position de l’organisme et ses visées : Se donner du pouvoir sur notre santé : démarche d’éducation populaire sur la nutrition, l’obésité et le diabète .5 Les activités s’adressaient à tous les membres de l’organisme, et un groupe de dix personnes participantes a travaillé plus intensivement sur le projet. Concrètement, on a procédé à une enquête maison pour établir l’état de santé des personnes participantes, les besoins et intérêts en jeu à ce sujet. Les résultats ont été communiqués de manière accessible aux personnes participantes. Il y a eu aussi des déjeuners-causeries pour recueillir et transmettre de l’information sur le thème. L’organisme a « traduit » le Guide alimentaire canadien pour permettre aux personnes participantes de s’approprier l’information qui s’y trouve. On a entre autres créé un bingo à partir des groupes alimentaires. Des ateliers de cuisine ont été mis en place, entre autres pour découvrir de nouveaux aliments, de nouvelles recettes et de nouvelles manières de s’alimenter et de cuisiner et pour mettre en commun les savoirs sur la question. D’autres ateliers ont été offerts, ceux-là pour réfléchir collectivement à la désinformation véhiculée par les messages publicitaires ainsi qu’aux habitudes de vie et aux croyances en lien avec le thème. Des moments ont été réservés pour échanger sur les moyens de chacun de pallier la pauvreté économique et le manque d’accessibilité des services et de l’information en matière de santé. Tout cela s’est fait avec des espaces de lecture et d’écriture, bien sûr. En conclusion de démarche, le centre a produit un document relatant les éléments clés de cette aventure dans le but d’en faire profiter d’autres organismes et de transmettre les savoirs acquis 6.

3 Élise DE COSTER, « Mieux vaut être riche et en santé... », Le Monde alphabétique, 2009.

4 Une formation est donnée sur cette approche au RGPAQ. Pour en savoir plus à ce sujet, consulter les articles dans le dossier du Monde alphabétique sur les pratiques actuelles: Clode LAMARRE et Martine FILLION, « Deux capsules Reflect »; Monique ROBERGE, « Ma première expérience avec l’approche Reflect », 2009 ainsi que le document Journée d'échanges REFLECT, 2012

5 La Marée des Mots, 2009.

6 Cette démarche est résumé dans l’article suivant : Sylvie BERNIER, « Gâteau ou plateau de fruits : petite histoire d’une démarche populaire sur la santé et l’alimentation », Le Monde alphabétique, 2010.

Plusieurs organismes ont mis sur pied des campagnes de sensibilisation à l’intention des médecins et du personnel du milieu de la santé, toujours en incluant les personnes participantes, en faisant preuve d’une créativité débordante et en recourant à diverses méthodes. Un projet de ce type s’est vécu à la Jarnigoine 7. Les personnes participantes qui voulaient réagir à la difficulté de s’informer dans le monde médical, notamment à cause du vocabulaire inaccessible, ont été pleinement intégrées à chaque phase du projet. Elles « ont pris la caméra pour mettre des visages et des voix sur ce problème. Par des sketches, des entrevues et des témoignages, elles donnent leurs idées pour améliorer l'accès à l'information médicale ». La sensibilisation se poursuit grâce à des rencontres organisées avec des étudiants en médecine, entre autres.

D’autres organismes ont aussi travaillé activement sur ce dossier, dont COMSEP et la FAC de Baie-Saint-Paul (Service de formation en alphabétisation de Charlevoix), pour ne nommer que ceux-là. La FAC a notamment collaboré à une journée régionale d’échanges sur l'alphabétisation dans le but « d'ouvrir un canal de communication entre les analphabètes et les services de santé 8 ». 

En bref, les groupes multiplient les projets et les actions sur les thèmes de la santé et de la nourriture pour soulager et améliorer ces aspects des conditions de vie difficiles des personnes peu alphabétisées, AVEC elles 9.

7 La Jarnigoine, Bongour docteur, 2009.

8 Sur ce thème, le Service de formation en alphabétisation de Charlevoix a notamment produit le document Une saine alimentation, c’est à ma portée, publié en 2009.

9 Sur le même thème : COMSEP, Mieux vivre, mieux être : un pas vers l’accès aux loisirs, aux sports et au plein air, pour les personnes peu alphabétisées et vivant en situation de pauvreté : les loisirs, c’est pour tout le monde!, 2009.