L'éducation contre les stéréotypes

Il existe peu d'outils destinés aux adultes en formation sur le sujet des stéréotypes, alors que le nombre de ressources développées pour les jeunes sur ce thème a fortement augmenté au cours des dernières années. De plus, le matériel conçu pour les adultes ne contient pas souvent des représentations diversifiées, si l’on exclut les outils pensés pour les adultes en francisation ou en alpha-francisation.

Pourtant les questions du genre ou des discriminations ont depuis longtemps intégré les réflexions dans bien des domaines liés à l'éducation, que ce soit celui de la réussite éducative, de l’accès à l’emploi, des parcours professionnels, ou encore du handicap, de la pauvreté, de la défense des droits, etc.

Au regard de l’importance des discriminations qui perdurent dans la société, de l’institutionnalisation des rapports de pouvoir et de la division genrée des savoirs, il apparaît essentiel que ces sujets soient abordés dans les lieux de formation des adultes, que ce soit pour qu’ils contribuent à bâtir une société plus égalitaire, ou pour que ces concepts soient pris en compte lors des processus de conscientisation. En effet, si l’on peut observer des différences liées au genre et aux discriminations dans les causes du décrochage scolaire ou du raccrochage, dans les parcours de vie ou les biographies professionnelles, alors ces questions devraient être traitées dans tous les milieux qui accueillent des adultes en formation.

Cependant, il peut être difficile d’aborder le sujet des discriminations auprès de groupes qui en vivent eux-mêmes. Les personnes moins alphabétisées, par exemple, vivent de l’isolement social, de la pauvreté, et sont généralement victimes de stéréotypes à leur égard. Comment, dans ces conditions, parler des stéréotypes présents au sein de ces groupes et individus ? Comment une personne qui vit de la discrimination pourrait-elle accepter de remettre en question ses propres préjugés ? Avoir des préjugés, est-ce être oppresseur, et donc faire partie d’un groupe dominant ? Comment accepter cette idée alors que l’on vit de la pauvreté ou que l’on est exclu de différents domaines de la vie sociale ?

Reconnaître nos biais et nos idées reçues est un processus souvent très exigeant, que l’on fasse partie d’un groupe privilégié ou non.
Les préjugés sont un problème lorsqu’ils s’expriment et servent à discriminer des personnes selon des critères tels que le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la race, la religion, l’âge, le statut social, etc.
Il est presque inévitable de grandir avec des préjugés : on naît dans des environnements familiaux et sociaux qui nous font percevoir le monde d’une certaine façon, sous l’influence de ce que l’on entend dans notre entourage. On grandit en se faisant une idée de comment les personnes se distinguent selon leur sexe, de comment les gens sont différents ou semblables selon leurs origines, leur religion, leur couleur de peau, etc.
C’est cette socialisation qui crée des idées reçues et qui nous fait construire des catégories, des boîtes dans lesquelles on peut facilement ranger les individus et les groupes selon toute une liste de critères.

Une fois que l’on reconnaît que notre éducation et notre socialisation ont façonné une vision du monde qui n’est pas toujours juste, ouvrir les boîtes et discuter des catégories que l’on a construites peut se faire sans culpabilité.
On peut ainsi constater que l’on a tous et toutes des privilèges, sous une forme ou une autre, et qu’en même temps on vit des injustices et de la discrimination dans d’autres domaines. La façon dont ces discriminations s’entrecroisent fait alors apparaître d’autres formes d’oppressions complexes, aux manifestations variées. Ainsi, une femme qui a un diplôme universitaire qui n’est pas reconnu au Québec, immigrante et racisée, qui parle avec un accent étranger, se verra fermer certaines portes, mais pas les mêmes qu’un homme blanc sans diplôme et en situation de handicap.

Les stéréotypes et les discriminations étant des sujets sensibles, on peut préférer éviter de les aborder de front, et privilégier d’autres approches.

Par exemple, on peut organiser une activité fondée sur le jeu de rôle. En imaginant que l’on est une autre personne avec des caractéristiques personnelles qui ont un impact sur notre parcours de vie, on peut prendre conscience de la façon dont ce qui nous rend unique nous rend parfois la vie plus facile, ou est parfois une  barrière. C’est ce que propose l’activité « la marche des privilèges », proposée dans le jeu de cartes « C’est mon genre de métier », édité par le CDÉACF. Dans ce jeu, chaque participant-e incarne une personne et se place sur une ligne de départ imaginaire. En faisant un pas en avant lorsqu’une caractéristique personnelle est un élément facilitant dans la vie (comme n’avoir jamais dû arrêter l’école pour s’occuper de quelqu’un d’autre), et en restant sur place quand une autre caractéristique est un obstacle dans le parcours de vie (comme avoir un handicap), les participant-e-s font l’expérience de trajets de vie variés, qui permettent ensuite d’aborder le sujet des injustices sociales et de l’intersectionnalité.

Utiliser des images est un autre moyen efficace de parler des préjugés, de la justice sociale, des discriminations. En utilisant des magazines, des images publicitaires ou des extraits de textes, on peut amener un groupe à prendre conscience de la façon dont ces supports véhiculent parfois des  représentations fausses ou discriminantes.
Un photolangage peut également permettre d’aborder des questions vives et de faciliter la prise de parole sur ces sujets complexes.

La pratique du débat en groupe, répandue dans les milieux de l’éducation populaire, est également une façon non stigmatisante de parler de ces enjeux. Pour les formatrices que nous avons entendues en entrevues au sujet des stéréotypes, les discussions et les débat sont toutefois un terrain miné car elles sont incertaines de pouvoir contrôler les échanges en cas de débordement.

Tout d'abord, dans une discussion de groupe, il ne s’agit pas de débattre sur des questions qui sont des points de droit déjà réglés (comme le mariage entre personnes du même sexe) ou qui remettraient en question la légitimité des luttes des groupes marginalisés. Il s’agit plutôt de discuter de ce qui constitue encore des barrières à une société plus égalitaire. Ces débats n’ont pas pour objectif de trouver un consensus, mais de mettre en lumière la complexité de ces questions. Dans ce type d’activité, la personne formatrice n’est pas détentrice de savoirs, mais plutôt une facilitatrice. Un débat, par sa nature même, peut faire émerger des préjugés et être éprouvant pour certaines personnes qui y participent. Dans son rôle de facilitatrice, la personne formatrice énonce ou rappelle les règles de la discussion respectueuse, aide à la prise de conscience des arguments qui sont des faits et de ceux qui relèvent plutôt des idées reçues, etc.

 

Les milieux de l'éducation des adultes ont un rôle important à jouer pour l'égalité. Les formatrices et les formateurs sont des agentes et des agents de changement social et des points de référence et d'écoute. Une éducation des adultes contre les stéréotypes favorisera l'égalité et améliorera l'estime de soi des personnes qui subissent des préjugés. Pour y parvenir, il est nécessaire de développer encore des ressources et du matériel adapté à tous les milieux de la formation des adultes.